Vietnam, métamorphose en deux temps Dites Asie et
croissance. On vous répondra sans doute Chine ou Inde. Discrètement, entre
les deux, le Vietnam est devenu le pays affichant la deuxième plus forte
croissance de la région Asie-Pacifique. Sur les dix dernières années, sa
croissance annuelle dépasse 7%.
Objectif du pouvoir dirigeant
autoritaire: faire du Vietnam un pays développé en moins d'une génération.
Et le pari est en passe d'être réussi. A l'horizon 2010, le Vietnam sera
devenu un pays à revenu moyen. Grâce à une stratégie politique tout
orientée vers le développement économique – pour l'anecdote, il est
intéressant de constater qu'en juin dernier, pour la première visite d'un
président vietnamien aux Etats-Unis depuis la fin de la guerre en 1975,
Nguyen Minh Triet s'est d'abord arrêté à Wall Street avant de rencontrer
George Bush à Washington –, grâce à une forte conscience nationale et
grâce à l'engagement individuel des Vietnamiens, qui affichent une tenace
volonté de travailler, d'aller de l'avant, de progresser, de réussir...
Cette transformation se produit dans l'un des derniers pays du
monde dirigés par un Parti communiste sur le mode du monopole. Rien à voir
avec un système démocratique, malgré quelques inflexions. Ces derniers
mois encore, une pluie de condamnations en justice est tombée sur des
dizaines de dissidents, internautes, intellectuels. Avec pour objectif de
tracer des limites à la timide libéralisation politique en cours. Mais des
signes d'assouplissement sont là: le combat affiché du parti contre la
corruption de ses hauts cadres, le renouvellement de l'Assemblée
nationale. Et l'apparition en mai, parmi les 500 députés, d'élus non
exclusivement communistes mais avalisés par les autorités.
Pragmatique, le pouvoir se décrispe un peu. Régulièrement encore,
il espionne, harcèle, emprisonne, condamne. Mais en parallèle, la critique
est de plus en plus tolérée. Sur la question des droits de l'homme, les
ambassadeurs suisse, canadien, norvégien et néo-zélandais sont
régulièrement reçus par le pouvoir de Hanoi, «entre quatre yeux», pour
examiner des cas d'arrestations arbitraires, de harcèlements judiciaires,
de jugements infondés, etc.
Autant de petits pas concrets sur le
chemin de l'ouverture démocratique après la libéralisation. Le
vice-ministre des Affaires étrangères, rencontré à Hanoi, en convient:
«Une nation peut exister à jamais. Un système politique, lui, ne peut pas
être éternel.»
Par Ignace Jeannerat - Le Temps (.ch) - 23 juillet
2007
Vietnam, l'envol d'un dragon Le pays connaît la
deuxième plus forte croissance en Asie, derrière la Chine. Gros plan sur
cette vitalité.
A quoi reconnaît-on un pays qui boome? A son
taux de croissance. Pour le Vietnam, les chiffres sont éloquents: 7,3% de
croissance annuelle en moyenne depuis dix ans, 8,2% en 2006. La deuxième
performance de la région Asie-Pacifique, derrière la Chine mais devant
l'Inde! Avec des envolées supérieures dans certaines parties du pays,
comme au sud dans la région de Hô Chi Minh City si on en croit les
chiffres de Nguyen Thi Hong, vice-présidente du Comité populaire de la
ville, en charge des finances: 12% en 2006, et même 19% pour le secteur
des services et 15% pour l'industrie au premier semestre 2007, dit-elle
avec la précision métronomique d'une haut cadre du Parti communiste,
toujours solidement installé au pouvoir.
Economiquement, le pays
se transforme de fond en comble. De quelques milliers de PME en 2000,
elles seraient plus de 200000 aujourd'hui. Et le processus de
restructuration des entreprises étatiques ne faiblit pas. De 2001 à 2005,
3346 sociétés étatiques sur 5655 ont été restructurées, 2188 ont été
privatisées. Surfant sur le train de réformes du gouvernement qui a pris
le nom de «Doi Moi», c'est un pays de 84 millions d'habitants, âgés de
moins de 35 ans pour 72% de la population (!), qui ne pensent qu'à une
chance ou presque: travailler, consommer, progresser et s'enrichir. Quitte
à faire 45 à 50 minutes de moto par jour pour aller du domicile à son lieu
de travail.
Mais hors des tabelles économiques, la fièvre se voit
dans la rue. Observation d'un confrère qui était passé par le Vietnam en
2000. «Avant il n'y avait que des vélos, très très peu de motos.» Sept ans
après, les rues sont encombrées de motos japonaises, taïwanaises et depuis
peu chinoises. Moins chères. Les vélos? Dans cet essaim de moteurs, on les
compte presque sur les doigts de la main. Ce n'est pas tout. Les voitures
montrent leur capot. Pas de vieilles autos essoufflées mais de rutilantes
Toyota en majorité, Ford parfois, grosses allemandes de plus en plus. Une
classe bourgeoise apparaît. Et la classe moyenne - de 251 à 500 dollars de
revenus par mois - représente aujourd'hui 55% de la population, en
progression de 78% entre 1999 et 2006. Ici comme dans d'autres pays,
malgré les plaies d'une très douloureuse guerre - «le passé, c'est le
passé», nous a-t-on souvent répété -, tout ce qui vient des Etats-Unis
fascine.
En levant les yeux, ça construit à tour de bras.
Immeubles, surfaces commerciales, habitations privées relevées de
plusieurs étages, lotissements nouveaux, quartiers rasés. A Hanoi, la
capitale administrative, au nord du pays. A Saigon, au sud. Partout.
Exemple de Danang, au centre du pays, quatrième ville - 800000 habitants
-, restée dans l'histoire pour avoir été la base des opérations militaires
des Américains pendant la guerre au Vietnam. Et qui, de cité portuaire,
sera demain l'étoile de la Costa Brava du pays. Le Huu Doc, vice-directeur
du Comité du Plan de la ville, livre sans orgueil les projets: complexes
hôteliers, immeubles de 20 ou 30 étages, zones industrielles, ponts, golfs
pharaoniques, aménagement d'une presqu'île à faire pâlir Dubaï.
Bref, l'argent pleut sur la ville - «Un milliard d'investissements
recouvrant 103 projets différents» - comme sur le pays. Selon le FMI, les
investissements directs étrangers ont atteint le record de 10,2 milliards
de dollars en 2006. A Danang, les capitaux sont surtout américains (44%),
japonais (11%), coréens (8%), taïwanais (7%), etc. Et les investissements
européens? Sur cette région, moins de 4%.
Le défi de la
croissance, c'est aussi de tenir sur la durée. Ambition exprimée par le
vice-premier ministre Pham Gia Khiem dans un entretien à des journalistes
suisses: «L'objectif est de faire sortir le Vietnam du groupe des pays à
bas revenus en 2010 et d'en faire un pays industrialisé en 2020.» Et de ne
pas laisser trop de monde au bord de la route. Les résultats sur ce plan
sont impressionnants. En une décennie, la part de la population qualifiée
de pauvre est tombée de 58% en 1993 à 10% aujourd'hui. A Hô Chi Minh
(ex-Saigon), la vice-maire parle de moins de 3% de familles pauvres en
ville, soit gagnant moins d'un dollar par jour et par personne. A la
vérité, souvent ces populations ont été chassées de la ville vers la
campagne périphérique.
Gare aux dérapages
Les défis
ne manquent pas . Sur le plan politique pour poursuivre vers une
transition plus démocratique, une justice plus sereine, une administration
réformée plus efficiente. Sur le plan économique pour s'intégrer aux
règles mondiales après l'admission en 2006 à l'OMC. Mais aussi pour éviter
les dérapages tout à la fois liés à la corruption - «Lutter et faire
reculer la corruption dans l'appareil de l'Etat est une priorité»,
reconnaît le vice-premier ministre Pham Gia Khiem - et à l'inflation.
L'argent arrive à flots sur le Vietnam. Tellement, confie un diplomate à
Hanoi, que les autorités ont presque accueilli comme une bénédiction le
petit coup de frein découlant du coup de froid de mars sur les bourses
asiatiques et des peurs liées au SRAS. Le Vietnam a du boulot devant lui.
Notamment sur les questions d'environnement, de transport. Déjà Hô Chi
Minh étouffe sous le trafic. La ville attend son métro. Première ligne
dans quatre ans.
Par Ignace Jeannerat - Le Temps (.ch) - 23
juillet 2007
Ces Suisses qui croient au Vietnam De grandes -
et de petites - sociétés surmontent les obstacles bureaucratiques.
«Attendez-vous à des surprises», dit Jozsef Szvoboda,
directeur de Farbax, un fournisseur de cartouches pour imprimantes basé à
Zurich, récemment établi au Vietnam. La filiale locale a reçu sa licence
d'exploitation, mais pas celle d'importer les composants nécessaires à son
activité, ce qui l'oblige à jongler avec une autorisation provisoire.
L'investisseur qui s'aventure au Vietnam doit s'attendre à de telles
mésaventures. Cela n'empêche pas plusieurs dizaines de sociétés suisses
d'y être présentes. Quelques exemples.
• Holcim est le plus grand
fournisseur de ciment au sud du pays (26% de parts de marché). A l'époque
de son installation (1997), il a été obligé de fonder une coentreprise
avec une société locale... qui est aussi un de ses gros concurrents:
paradoxe d'une économie largement restée sous la coupe de l'Etat malgré
les discours sur les privatisations. Un défi actuel est la multiplication
de petits producteurs qui amènent une baisse des prix et des surcapacités.
Le secteur va saigner ces prochaines années. L'autre défi est de former et
conserver les techniciens. Holcim y consacre pas moins d'un million de
dollars par an.
• Rüeger montre qu'une PME vendant un bon produit
de niche a sa place au Vietnam. Le fabricant vaudois de thermomètres à
haute résistance vient de décrocher un contrat de 1 million de francs pour
la raffinerie de Dung Quat, le plus gros projet pétrochimique du pays.
• Ecom est le premier exportateur de café vietnamien avec 150000
tonnes annuelles, 10 à 15% de la production. Le négociant basé à Pully a
pour politique de faire monter en gamme la variété robusta, dont le
Vietnam est le premier producteur mondial. En améliorant les processus de
lavage et transformation négligés par le gouvernement, Ecom parvient à
encaisser des primes de qualité alors que d'autres devaient consentir des
rabais. La société fournit Nestlé, Lavazza, et une variété estampillée
«développement durable» pour Migros.
• Credit Suisse est devenu en
six ans une des banques les plus actives au Vietnam, depuis sa base de
Singapour. Il a émis pour 750 millions de dollars d'obligations
gouvernementales en 2005, a été désigné cette année comme seul conseiller
pour la mise en bourse de la banque Vietcombank, a également signé à Davos
un contrat de partenariat financier avec les Vietnam National Shipping
Lines et le Vietnam Shipbuilding Industry Group. Il a encore coordonné en
mars l'entrée à la bourse de Londres du Indochina Capital Vietnam
Holdings. Il finance également des activités de négoce depuis Zurich. •
Sicpa, la société vaudoise produisant les encres de sécurité protégeant
85% des devises mondiales, collabore avec l'Imprimerie nationale du
Ministère des finances pour produire des timbres fiscaux hautement
sécurisés destinés aux produits taxés, et finance en parallèle un
programme de sensibilisation aux dommages causés par la contrebande.
• Zurich a participé en observateur attentif à la mission
économique de la semaine dernière conduite par Doris Leuthard. L'assureur
est convaincu qu'avec dix à quinze ans de retard sur la Malaisie, le
Vietnam va devenir un marché intéressant pour les voitures, ainsi que pour
l'assurance catastrophes, très peu répandue aujourd'hui.
Les
principaux obstacles au développement des sociétés étrangères sont la
bureaucratie, la corruption et la discrimination face aux entreprises
locales. Par ailleurs, «on voit arriver de petits investisseurs mal
préparés, les gens deviennent négligents, avertit le consultant Daniel
Keller. Je reste optimiste pour ce pays à long terme, mais la fête
actuelle ne durera pas toujours.»
Par Jean-Claude Péclet - Le
Temps (.ch) - 23 juillet 2007
Logiciels, made in Saigon Dans l'industrie du
logiciel, quand on regarde vers l'Asie, on pense Inde, Corée, Taïwan,
Chine... D'autres Etats prennent position. A l'exemple du Vietnam qui
hisse crânement son étoile.
Aujourd'hui, ce secteur représente 750
entreprises employant 35000 ingénieurs et techniciens. A la périphérie de
Hô Chi Minh, Etat et collectivités ont aménagé Quang Trung Software City,
une sorte de Silicon Valley nationale: 43 hectares d'immeubles, centres de
recherche et de formation, et habitations pour expatriés. Avec de
substantielles incitations fiscales à la clé. A ce jour, 6800 personnes y
travaillent pour le compte de 75 compagnies, vietnamiennes en majorité
mais aussi américaines, japonaises et européennes. En 2010, l'objectif est
d'atteindre 20000 emplois sur ce seul parc.
Au quotidien avec
Zurich
C'est là, au quatrième étage de «Anna Building», que
Thomas Himmelrich, ingénieur IT marié à une Thaïlandaise, a installé les
bureaux de Swiss IT Bridge, fondée en 2005 avec son associé Fredi
Schmidli. Entre les deux Helvètes, les rôles sont clairement attribués. Le
premier pilote au Vietnam les opérations de production et dirige la
douzaine de programmateurs vietnamiens. A brève échéance, ils seront
vingt. Le second, basé à Zurich, assure le marketing et prospecte le
marché. Essentiellement des PME qui n'ont ni les compétences à l'interne,
ni les filiales pour adapter leurs logiciels, développer des programmes,
assurer l'évolution de leurs applications internet, etc. «Nos atouts,
expliquent les deux associés qui dialoguent quotidiennement par connexion
webcam, ce sont des délais et des prix tenus et un contact direct en
allemand avec Thomas Himmelrich qui conduit les opérations à Hô Chi Minh.»
Et ça tourne rond: Swiss IT Bridge connaît une croissance de 60% de ses
activités au premier semestre, grâce à une présence remarquée lors du
dernier salon Orbit.
Pour réussir dans cette compétition mondiale
de l'industrie du logiciel et séduire les investisseurs, le Vietnam
dispose d'une main-d'œuvre bien formée. Seules l'expérience pratique et
les règles de vie en entreprise font défaut en sortie de diplôme. Les
informaticiens vietnamiens ont acquis une bonne réputation notamment au
Japon, en Irlande et aux Etats-Unis. La présence de nombreux géants tels
que Accenture, Unisys, Fujitsu, sans oublier Intel qui vient d'investir 2
milliards de dollars, a souligné les atouts du Vietnam. Les coûts sont
compétitifs – les informaticiens sont payés entre 250 et 500 dollars par
mois. «Et même si les salaires prennent l'ascenseur au fil des années et
que le Vietnam devient plus cher, les autres pays vivent aussi cette
envolée, confie Thomas Himmelrich. A commencer par l'Inde qui délocalise
de plus en plus vers le Vietnam. Ce pays est aujourd'hui le meilleur choix
possible en Asie.» En attendant d'autres nouveaux tigres qui montreront
leurs griffes. Le Cambodge voisin par exemple.
Par Ignace
Jeannerat - Le Temps (.ch) - 23 juillet 2007
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