Préface
de M. Christian Ferrazino, Maire de la Ville de Genève, à
l'ouvrage «Genève Ville de paix. De la Conférence de 1954 sur
l'Indochine à la coopération internationale» (par Guy Mettan,
édité chez Slatkine en 2004).
Le 21 juillet 1954, les Accords de Genève mettaient fin à la
guerre entre la France et l'Indochine. En faisant reconnaître son
indépendance, le Vietnam ouvrait la voie à la décolonisation.
Un homme d'Etat visionnaire, Pierre Mendès France, transformait
un échec militaire en succès diplomatique : son pays allait
devenir un des acteurs principaux de la coopération
internationale.
Certes, les espoirs de l'époque ont subi les heurts de
l'histoire. Et cinquante ans plus tard, les pays en développement
attendent toujours une répartition plus juste des pouvoirs et des
richesses. Néanmoins, ces accords préfiguraient la dimension
Nord-Sud dans une gestion mondiale, accaparée jusque-là par les
grandes puissances. Ils préfiguraient un dialogue planétaire où
chaque peuple devrait avoir voix au chapitre, indépendamment de
sa taille ou de sa puissance.
Les Accords de Genève concluaient aussi le premier sommet
international depuis 1945. Car la Guerre froide Est-Ouest avait
entre-temps divisé le monde. En 1954 pourtant, les dirigeants des
deux blocs ont accepté de s'asseoir à la même table :
Pierre Mendès France, Pham Van Dông (Vietnam), Chou En-lai
(Chine), John Foster Dulles (Etats-Unis), Viacheslav Molotov
(URSS) et Anthony Eden (Royaume-Uni) ont finalement ratifié ces
accords.
Pour la Suisse, cet événement a marqué son retour sur la scène
mondiale après la mort de la Société des Nations. Genève
renouait avec sa longue tradition de cité humanitaire et médiatrice.
De nombreux sommets suivront sur les bords du lac Léman, de la
rencontre des quatre Grands en 1955 jusqu'aux tête-à-tête des
Présidents Clinton et Assad en 1999, sans oublier la mémorable réunion
Reagan-Gorbatchev en 1985 qui va marquer la fin de la Guerre
froide.
Mais le destin de Genève ne se limite pas à réunir des chefs
d'Etat. Depuis des siècles, sa vocation de refuge pour les persécutés
a suscité une approche plus exhaustive : intervenir non
seulement sur les conséquences, mais aussi sur les causes des
conflits et des injustices. Avant Henry Dunant, l'initiateur de la
Croix-Rouge, des pionniers comme Jean-Jacques Rousseau (contrat
social), Jean-Jacques de Sellon (lutte contre la peine de mort et
la guerre) ainsi que Marie Goegg Pouchoulin (Ligue internationale
de la paix et de la liberté fondée à Genève en 1867), et bien
d'autres, ont jeté les bases d'un arbitrage entre les forts et
les faibles. L'installation à Genève de la Société des Nations
a consacré cet engagement. Dramatiquement, cette première
tentative de gérer les dissensions entre Etats sera anéantie par
la pire des guerres. Parallèlement, le Bureau international du
travail, créé au même moment en 1919, connaîtra un meilleur
succès : il mettra en pratique la négociation tripartite
Etats-employeurs-travailleurs, étape importante dans l'histoire
du monde du travail.
Aujourd'hui, notre cité abrite un grand nombre d'organisations
internationales et des centaines d'organisations
non-gouvernementales. La «Genève internationale», creuset d'un
dialogue permanent, est de plus en plus mise à contribution.
Le Sommet Mondial sur la Société de l'Information, dont la
première phase s'est déroulée en décembre 2003 à Genève,
inaugure une nouvelle phase de la «gouvernance mondiale» :
les Etats, l'économie privée et la société civile tentent de
sortir des sentiers battus en proposant une meilleure prise en
compte du pouvoir des citoyens. La création, à Genève aussi,
d'un Bureau international de la société civile doit précisément
permettre d'organiser à terme une participation efficace des
citoyens (milieux associatifs, villes et pouvoirs locaux,
syndicats, jeunes, artistes, scientifiques, peuples
autochtones…) aux processus de décision.
Cinquante ans après les Accords de Genève, l'Initiative de
Genève pour la paix entre Israéliens et Palestiniens illustre le
rôle de plus en plus crucial de la société civile : elle
peut initier des mobilisations et proposer des solutions novatrices
lorsque la situation semble bloquée au niveau des gouvernements.
Genève est très consciente des obligations qui lui ont été
léguées par l'histoire. Notre Ville est déterminée à parvenir
rapidement à affecter 0.7% de son budget de fonctionnement à la
coopération internationale. Elle a créé, il y a peu, avec Lyon
et Bamako, le Fonds international de solidarité des villes contre
la pauvreté et, tout récemment, le Fonds de solidarité numérique
avec le Sénégal, la Ville de Lyon et la Province de Turin.
Beaucoup reste à faire. Mais l'entrée sur la scène
internationale des villes et des pouvoirs locaux offre un champ
dynamique et riche en possibilités. Genève est bien décidée à
s'associer avec audace à ce mouvement.
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